« Mariages en Mayenne | Carnet de voyage de Louis Eugène Julienne » |
Le webClub EGBMN a mené l’enquête sur un évènement météorologique inhabituel survenu au début du mois de juin 1783 et signalé dans les registres de la même année ou de la suivante. Les recherches de nos membres ont permis d’éclairer les causes des « brouillards secs » qui ont stagné sur la France (et plus largement sur tout l’hémisphère Nord de la planète) pendant des semaines au cours de l’été et l’automne 1783. (voir aussi la rubrique de Mme Leboulanger
« L’insolite à travers les registres », Le Colporteur n° 69, déc. 2008). Merci à tous les contributeurs (dans l’ordre de leur participation): Mmes et MM J Louvel, M-C Dupuy, A Rigaut, G Chérel, Y Leboulanger, J-C Quinton, B Gueslot, L Hatteville, J Langre, D Judel, R Jouenne, O Gain.
Tout d’abord, nous pouvons montrer, grâce aux recherches menées par nos membres, deux commentaires concernant des particularités météorologiques survenues au cours de l’année 1783 et enregistrés par les curés dans leurs registres paroissiaux. Il est à noter que les commentaires des curés sont exceptionnels et témoignent donc du caractère lui aussi exceptionnel des évènements ou situations rapportées.
Communication de Mme Mauricette Mongoubert:
Ci-dessous transcription des remarques du Curé de Boitron (61).
Cette remarque se trouve à la fin de l’année 1783 paroisse de Boitron.
Transcription
En 1783 la gelée a commencé le huit décembre ; la neige a
commencé le vingt sept du même mois; elle a eu dix huit
pouces de hauteur dans les endroits unis, et plus de quatre à cinq
pieds dans les endroits creux, y ayant été amassée par les vents ;
elle a commencé à fondre le vingt deux février 1784 et elle n’a été
entièrement fondue que le 28 dans la campagne et longtemps après dans
les chemins. Cet hiver a été le plus rude qu’on ait éprouvé depuis plus
d’un siècle. Il a été précédé dans l’été par des brouillards qui ont duré pendant près de
deux mois et qui ont rendu le soleil comme un corps opaque, rougeâtre, et sans rayon pen
dant tout ce temps-là, ces brouillards ont été occasionnés, dit-on par le bouleversement
de la Calabre qui a été enfoncée, pour la plus grande partie sous les eaux.
Poret, Curé de Boitron
Nous poursuivons avec la description rapide de la démarche qui nous a conduits à nous intéresser de plus près aux conséquences éventuelles sur la santé (estimées à partir des relevés des décès) de ces phénomènes météorologiques particuliers survenus à partir du printemps de l’année 1783 et qui ont apparemment continué une bonne partie de l’été et jusqu’à l’automne de la même année.
Voici ce que nous a rapporté M. Bréguet : « M. LECOUTEUR a prononcé le 13 octobre 2007 une conférence à Caen au profit du CEGECAL sur "Les volcans, le climat et la Révolution Française". Il a fait part de l’éruption survenue en juin 1783 du volcan LAKI en Islande. […] (NDLR voir d’autres extraits dans les pages sur « L’Insolite »). […] Monsieur LE COUTEUR, […], a étudié plusieurs communes de Seine-Maritime, notamment le long de la Seine ; il y a relevé, à partir des registres paroissiaux, une surmortalité entre août 1783 et janvier 1784. Par exemple : Moulineaux : 37 décès en 1783 contre 7 en 1782 et 15 en 1784. Vatteville-La-Rue : 89 décès en 1783 contre 58 en 1782 et 69 en 1784. »
M. Claude Mourmont nous a signalé par ailleurs que « Sur la liste du Cercle Généalogique Orne et Perche il y a eu une discussion sur le phénomène il y a quelques mois. Un article de Généalogie Lorraine citait le phénomène. […] quelques membres du cercle ont procédé à une étude analogue à celle menée à l’EGBMN. Avec les résultats suivants ( je cite M. Pierre Godet): « J’observe d’abord que l’étude statistique de J. Gratton porte sur environ 350 décès pour l’ensemble des trois années 1782-1783-1784, ce qui correspond à un ensemble de 3 ou 4 paroisses percheronnes de tailles moyennes et, par conséquent est loin de représenter le Perche. J’ai fait la même étude sur un échantillon de 3 paroisses : Condeau, Moutiers-au-Perche et St Germain des Grois. Pour cet échantillon, le total des décès pour les trois années 1782-1783-1784 est de 264 soit du même ordre de grandeur que l’échantillon de J. Gratton. De cette étude, on peut conclure que des 3 années 1782-1783-1784, celle qui a connu le plus de décès est 1782 (109 décès) et celles qui en ont connu le moins sont 1783 (76 décès) et 1784 (72 décès). D’autre part, comme il a été fait avec environ 100 décès dans le village de Jaulny [Lorraine] pour les années 1781 à 1785, j’ai examiné l’ensemble des décès pour les années 1780 à 1790 sur l’échantillon constitué par les 3 paroisses ci-dessus auxquelles j’ai ajouté Moulicent, St Quentin et Ste Gauburge, soit un total de 1209 décès. De cet examen, on peut conclure que les années qui ont connu le plus de décès ont été 1788, 1781 et 1782 et que les années 1783 et1784 ont été des années à taux de décès moyens. En résumé, on peut dire que l’influence de l’éruption du Laki en 1783 ne s’est pas fait sentir dans les paroisses retenues pour mon échantillon et que la conclusion de J Gratton sur "Le Perche" est pour le moins une extrapolation hasardeuse. »
De ces travaux effectués dans d’autres associations, il ressortirait donc que l’année 1783, année des brouillards consécutifs à l’éruption du volcan Laki, n’aurait pas été plus meurtrière que les années précédentes ou suivantes. Sans remettre en cause le sérieux du travail effectué par nos collègues d’autres associations, j’ai noté que les relevés sur lesquels s’appuient cette conclusion ne comportent que quelques centaines de décès dans 3 ou 4 communes pour chaque étude. Le nombre des communes et celui des décès me sont apparus insuffisants pour donner une réelle signification aux résultats. De plus les périodes étudiées étaient trop courtes. Aussi, ai-je engagé le webClub EGBMN dans une recherche pour essayer d’obtenir des dénombrements de décès en plus grand nombre sur une période d’au moins 10 ans, avec l’objectif d’étudier l’impact de la pollution de l’atmosphère, due à l’éruption du volcan islandais Laki, sur la mortalité dans nos campagnes. Grâce à la mobilisation des membres du webClub, nous avons dénombré quelque 36850 décès dans 97 paroisses ! La liste des paroisses concernées est disponible ci-dessous. Les paroisses sélectionnées appartiennent au Calvados, à la Manche, la Mayenne et l’Orne.
Le résultat de ces recherches est résumé sur le graphique 1 ci-dessous. On y voit en gris clair le nombre des décès pour l’ensemble des paroisses étudiées, comptabilisés pour chaque mois entre 1779 et 1788 et en rouge une moyenne mobile sur 3 mois des mêmes décès. Pour simplifier, disons qu’une moyenne mobile a pour effet de gommer (légèrement dans notre cas) les variations naturellles trop erratiques et donc de faire mieux ressortir les changements significatifs dans le nombre des décès.
Noter, dans les 6 mois qui suivent l’évènement volcanique, matérialisé par la ligne verticale rouge, l’augmentation de la mortalité de plus de 50% par rapport à la moyenne (par exemple 394 décès en août, 410 en septembre, 536 en octobre, etc. pour une moyenne de 307). Après cet automne-hiver 1783-84 mortel, on voit une diminution de la mortalité dans les 6 mois suivants (par exemple « seulement » 215 décès en juillet 1784, 239 en août, 208 en septembre). On peut noter aussi que la mortalité à la fin de l’année 1779 ainsi que, à un degré moindre, à la fin de 1782 est très augmentée. On a probablement là les effets d’épidémies diverses, incluant grippes et gastro-entérites, fréquentes et souvent meurtrières à cette époque.
L’éruption historique du Laki (volcan islandais)
Terminons, grâce au géologue M. Thierry Leboulanger, avec quelques éléments d’explication scientifique de ce qui s’est passé : En plus des conséquences directes de l’éruption, trois types d’impacts, à trois échelles de temps et d’espace, peuvent être notés :
1) les retombées "immédiates" et "proches" : dans le cas du
Laki, les retombées notamment riches en fluor (8 millions de tonnes) ont provoqué la mort en Islande de 50% du bétail, 80% des moutons, des trois quarts des animaux sauvages, entraînant le décès de 21% de la population par famines.
2) Les impacts différés : aérosols et poussières (=cinérites) transportées par les vents dans les douze premiers kilomètres de l’atmosphère, où se produisent les turbulences responsables de la météorologie ; dans le cas du Laki, les conditions météorologiques anticycloniques sur l’Atlantique nord ont entraîné de grandes quantités d’aérosols d’acide sulfurique vers la Norvège, puis l’Europe centrale, puis la France (à partir du 21 juin) et enfin la Grande-Bretagne (dans un anticyclone, les vents tournent dans le sens des aiguilles d’une montre) ; l’acide sulfurique provient de la réaction du dioxyde de soufre émis par l’éruption avec l’humidité de l’atmosphère. Ces aérosols ont constitué les fameux "brouillards secs" délétères responsables de la surmortalité observée d’août 1783 à mai 1784, et provoqué des pluies acides qui ont pu brûler la végétation (mais n’ont apparemment pas compromis la moisson de 1783).
3) Les impacts retardés : les éjectas dans la stratosphère (au-delà de 12 km) sont entraînés par les "jet streams", vents violents et réguliers soufflant d’Est en Ouest, qui répartissent les aérosols dans l’ensemble de l’hémisphère nord (un tour de la terre est effectué en environ trois semaines) ; ce sont ces aérosols qui diminuent pendant plusieurs années la température moyenne du globe, entraînant des perturbations climatiques majeures : hivers exceptionnellement rigoureux, étés caniculaires avec violents orages de grêle, etc… pour comparaison, l’éruption du Pinatubo, dans les Philippines, en juin 1991, a projeté dans la stratosphère (jusqu’à 40 km) 20 millions de tonnes de dioxyde de soufre (6 fois moins que le Laki : 122 millions de tonnes) provoquant une baisse de la température globale au sol de 0.2 à 0.3°C en moyenne pendant trois ans, l’éruption du Krakatoa en 1883 a provoqué une baisse de la température au sol de 0.5 à 0.6°C dans l’hémisphère nord.
Dans le cas du Laki, il semblerait que les émissions ne se soient pas élevées à une altitude exceptionnelle ("seulement" 15 km), ce qui fait qu’une forte proportion des aérosols ont pu recouvrir l’Europe de l’Ouest pendant les 8 mois d’émission de gaz (juillet 1783 à février 1784 à comparer avec les mois à surmortalité du graphique 1). Les émissions ont cependant été suffisamment importantes dans la stratosphère pour provoquer de forts dérèglements climatiques pendant plusieurs années dans tout l’hémisphère nord.
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Mme Marie-Christine Dupuy propose aux lecteurs intéressés : « quelques sites où l’on parle, de façon plus ou moins objective et […] documentée, de cette éruption de 1783. Le 4° cité (magnard) fournit des données de mortalité dans le Perche, mais n’indique pas le nombre de paroisses étudiées. Le 5° (futura) est particulièrement intéressant, résumant des études de la NASA. Celui de Legoux transcrit les mêmes constatations climatiques dans l’Aisne, celui de pjpmartin […] dans le Rhône (et en France), histoire passion […] en Charente.»
http://www.rayonnementducnrs.com/Volcans2007.pdf
http://decobed.club.fr/Laki.html
http://fr.wikipedia.org/wiki/Laki
http://www.magnard.fr/IMG/pdf/_upload_svt_4/p59-eruptionlaki.pdf
http://lnk.nu/futura-sciences.com/qxg/
http://legoux.org/article118.html
http://pagesperso-orange.fr/pjpmartin/SIR08/1783_pm.pdf
http://www.histoirepassion.eu/spip.php?article399